La loi permet désormais d’affecter des terres à un groupe de personnes, notamment les membres d’une même famille. Une réponse au plaidoyer latent des organisations de la société civile sur le foncier, pour la prise en compte des préoccupations des communautés locales et des couches vulnérables dans le processus de la réforme foncière au Sénégal.

En effet, avec la loi du 17 juin 1964 et du décret du 27 octobre 1972, l’affectation ne peut être faite qu’au profit d’une personne physique ou morale. Cette situation a fait que pendant longtemps, la réalité de l’exploitation agricole familiale n’était pas effectivement prise en charge au plan de l’affectation des terres, même si des cas d’affectation au nom de plusieurs personnes physiques sont notés dans certaines communes dans la pratique en violation des dispositions légales », explique le rapport de présentation du décret du 30 décembre 2022.
Ainsi, l’article 3 du décret de 1972 a été modifié pour corriger cette incohérence. Désormais, « l’affectation est prononcée en faveur d’une ou de plusieurs personnes physiques ou morales, membres de la communauté ».

Lorsque l’affectation est faite au bénéfice de plusieurs personnes (une famille), elles ont l’autonomie de l’organisation et de la gestion, sur la base ‘’d’une charte collective de gestion’’.

Une réponse à la demande des organisations de la société civile sur le foncier

Cette modification de l’article 3 du décret de 1972 est une des propositions du CRAFS (Cadre de réflexion et d’action sur le foncier au Sénégal) depuis le processus de la réforme foncière, renouvelée dans le cadre de la formulation du Projet de Cadastre et de Sécurisation Foncière (PROCASEF). Le CRAFS avait insisté sur le fait qu’en milieu rural la terre est un patrimoine familial et qu’il existe aussi des espaces communs.

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Une note politique élaborée par l’IPAR, publiée en décembre 2015, recommandait la nécessité de prendre en compte les droits fonciers collectifs dans la réforme foncière au Sénégal.


Extrait de la note politique intitulée : ‘Prendre en compte les droits fonciers collectifs dans la réforme foncière au Sénégal’ – IPAR_2015

Cette note est la 2ᵉ d’une série de cinq (5) Policy Brief, élaborées dans le cadre d’un plaidoyer pour la prise en compte des préoccupations des communautés locales, des couches vulnérables et de la foresterie dans la réforme foncière au Sénégal.

  • Les interpellations des acteurs de la société civile sur le foncier

« Lorsque notre pays ne sera plus qu’un vaste océan de propriétés foncières clôturées et fermées, de concessions agro-industrielles, de parcs nationaux, de réserves forestières, etc., nous allons devenir des étrangers sur la terre de nos ancêtres. En d’autres termes, nous n’aurons plus de terre, pour nous comme pour les générations futures ». Ces propos prémonitoires d’un acteur de la société civile sonnent comme une alerte à prendre en considération par les décideurs politiques.

Ils interpellent sur les risques de disparition de la propriété collective au profit d’une appropriation individuelle poussée à l’extrême. Les tendances qui se dessinent dans l’évolution de la propriété foncière au Sénégal montrent que les droits fonciers collectifs sont menacés d’extinction. L’option néo-libérale de la réforme foncière en cours risque, en effet, si on n’y prend garde, de renforcer ces tendances. La réflexion autour de la réforme foncière en préparation ne peut ignorer la question de la sécurisation foncière pour tous, notamment pour les populations vulnérables.

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Les choix de l’Etat en faveur d’une privatisation pour la promotion d’investissements fonciers massifs sont régulièrement remis en cause par la société civile en général, des élus locaux et d’autres groupes de pression. C’est ainsi que le Conseil National de Concertation des Ruraux (CNCR) soutient que la gestion foncière au Sénégal est marquée par les survivances du droit coutumier, par un environnement juridique flou et des choix peu favorables aux exploitations familiales agricoles. En dépit de la prédominance du droit foncier moderne, les pratiques foncières restent dominées par le régime coutumier.

  • Les recommandations de la note Politique

L’opposition entretenue entre les droits fonciers coutumiers qui s’inscrivent dans la logique d’une appropriation collective et les droits dits modernes qui consacrent la propriété individuelle est manifestement porteuse de conflits qu’il convient d’éviter, à tout prix, en prenant en compte les diverses positions des acteurs et en intégrant les réflexions et initiatives réalisées au niveau national et international.
Dans cette perspective, les recommandations suivantes sont destinées à attirer l’attention des décideurs politiques sur les principaux enjeux et des éléments de politique :
i) délimiter clairement les terroirs villageois avec des droits fonciers coutumiers ne souffrant d’aucune contestation, ni des villages voisins, ni de l’Etat ;
ii) accorder des titres sécurisés, simplifiés et collectifs pour créer les conditions d’une meilleure circulation des droits fonciers, à l’intérieur du groupe ;
iii) donner une personnalité juridique aux entités territoriales ayant des domaines fonciers coutumiers à sécuriser ;
iv) développer des mécanismes juridiques de sécurisation des droits pastoraux (voir Note de Politique IPAR N*01-2015) ;
v) mettre en place un Observatoire National de suivi du foncier. Une telle structure, résolument collégiale et inclusive, aurait pour fonction d’éclairer la réforme foncière par des propositions consensuelles et, surtout, d’apprécier la mise en œuvre et les impacts de la réforme foncière, une fois adoptée.

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Verbatim
« Le droit ne se décrète pas et il ne devient vivant qu’à partir du moment où il est façonné par une pratique qui le reconnaît » Barrière, O. 2006. “De l’émergence d’un droit africain de l’environnement face au pluralisme juridique”.

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